La précarité hydrique
Comprendre les problèmes d’accès à l’eau et de précarité en Région Bruxelles Capitale
Précarité
Aide sociale
Politiques publiques
En 2018, 1200 foyers ont eu l’eau coupée en Région Bruxelles Capitale, ils étaient 98 en 2009. L’explosion des coupures et les signes alarmants d’une précarité grimpante ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur le phénomène de “précarité hydrique”. Le Parlement Belge a rappelé le droit fondamental d’accès à l’eau et l’atteinte que constitue sa privation. Méthos, en collaboration avec le cabinet Sia Partners a réuni les acteurs publics et sociaux du secteur dans le but d’aboutir à des propositions concrètes en termes d’action publique.
Les chiffres des études ne rendent pas comptent des trajectoires individuelles et ne permettent donc pas de comprendre les situations de précarité hydrique. Comment se fait-il que certaines personnes se retrouvent sans eau dans une ville comme Bruxelles? Quelle est la chaîne d’événements qui amène à ces situations? Où se trouvent les problèmes et les défaillances? Qui sont les personnes en situation de précarité hydrique? À quelles difficultés font-elles face en premier? C’est d’abord en répondant à ces questions et en identifiant les problèmes qu’il est possible de réfléchir aux solutions adaptées et c’est tout l’enjeu de l’enquête ethnographique: aller sur le terrain pour passer du temps avec des personnes qui vivent ou ont vécu des situations de précarité hydrique. C’est par là que nous avons commencé.
Notre étude s’appuie sur l’expérience vécue par les ménages dans diverses communes de la région bruxelloise. Lors de longs entretiens semi-directifs, la plupart du temps à leur domicile, des femmes et hommes ont raconté leur quotidien pris dans une précarité nouvelle ou ancienne, où chacun à sa manière tente de “garder la tête hors de l’eau”.
C’était un soir d’hiver. On est rentré vers 19h, il n’y avait plus d'électricité et plus d’eau, j’étais avec mes 4 enfants.
Précarité systémique
Le premier constat est que très souvent l’eau n’est qu’une partie du problème, le problème d’une précarité générale qui touche les foyers. Les ménages sont endettés et peinent à faire face à leurs dépenses. La plupart sont locataires et vivent dans des logements en mauvais état, mal isolés, parfois avec des fuites cachées, qui font atteindre des montants exorbitants à leurs factures d'énergie, gaz, électricité, eau. La plupart de ces ménages ne peuvent pas faire face à ces dépenses, ils ne peuvent pas non plus déménager de peur de ne pas retrouver un logement compte tenu de leur fragilité financière. Les propriétaires, pour la plupart peu scrupuleux, ne font aucun effort pour remettre les logements en état.
Là où on ne voit pas de solution, les problèmes pèsent encore plus.
Priorité: assurer le lendemain
Pour ces ménages, les arbitrages financiers sur ce qu’il est possible de payer ou non sont une préoccupation constante: quelle facture payer en premier? Quelle facture sera t il possible de laisser de côté, au moins pour un temps? Avec le peu de revenu disponible, les ménages font le choix d’assurer les conditions de vie minimum à court terme: un toit (la peur de se retrouver à la rue est permanente), des vêtements pour l’école (le sentiment de responsabilité vis à vis des enfants est immense), de la nourriture, même si certains finissent parfois le mois avec du riz et de l’eau sucrée.
Les factures d’eau arrivent une ou trois fois par an et compte tenu de leurs montants importants entrent pour les ménages dans la catégorie des “grosses factures”, c’est à dire des factures impossibles à honorer dans un quotidien financier contraint. Les réactions de déni ou d’oubli de ces factures ne sont pas rares, façon de mettre à distance une réalité qu’on ne comprend pas, façon aussi de survivre à une situation à laquelle on ne voit pas d'issue.
Je pouvais pas. J’ai laissé traîner. J’ai un tiroir avec plein de courrier, je mets tout dedans.
Précarité nouvelle
La diversité des situations entre les ménages est toutefois frappante. A côté des personnes qui tentent de s’extraire d’une pauvreté dans laquelle elles sont nées, on trouve des personnes qui n’avaient pas de difficulté (études, travail, logement) mais qu’un problème soudain de santé, une séparation ou un licenciement ont fait vaciller et plonger dans la précarité, des situations qui se sont multipliées avec le Covid.
Notre étude montre que la population concernée par la précarité hydrique est tout sauf homogène, et invite à mettre à jour l’image traditionnellement associée à la pauvreté et à repenser les modes d’intervention de l’action publique.
Ce n’est pas une position dans laquelle je suis heureuse. C’est difficile, j’ai pas envie de courir après des services d’assistance, j’ai juste envie de faire mon travail.
Un système complexe
Notre travail permet également de mieux saisir les ressorts du “non-recours”, une question souvent posée par les pouvoirs publics : comment se fait-il que, malgré diverses structures d’aides existantes, tant de foyers finissent devant le juge de paix ou avec leur eau coupée? Comment se fait-il que tant de foyers ne s'adressent pas aux structures d’aide et prennent le risque de tomber dans une précarité plus grande encore?
La focale de notre étude montre l'enchâssement des relations dans lesquelles les ménages sont pris et la difficulté pour eux d’identifier vers qui se tourner. Propriétaires, syndics, techniciens, Cpas, fournisseur d’eau, associations, etc. L’eau et sa facturation est le produit d’un système d'infrastructures et d’acteurs, qui est complexe. Les personnes qui n’ont pas de difficulté à payer leur facture d’eau, n’ont pas besoin de comprendre ce système, elles n’ont pas à se questionner sur le fonctionnement du compteur, les unités de mesure, les graphiques présents sur les factures, les décomptes envoyés par les propriétaires ou les syndic, pour l’eau chaude, pour l’eau froide etc. Tout ceci ne va pas de soi, les ménages en difficulté en font l’expérience dans l’urgence, souvent seuls et sans ressource, avec en prime un sentiment de honte et de culpabilité.
Recomman- dations
L’étude et la remontée progressive d’enseignements a été suivi par un groupe de travail réunissant les acteurs de l’eau en région Bruxelles Capitale: l’opérateur d’eau Vivaqua, Bruxelles Environnement, le CPAS ainsi que les acteurs de la lutte contre la pauvreté. Sur la base des résultats de l’étude et à travers différents ateliers, le groupe de travail animé par Méthos et SIA Partners s’est accordé sur une série d’actions et de mesures à mettre en place avec parmi elles, les priorités à proposer au gouvernement pour endiguer le phénomène de précarité hydrique
A lire:
• Le rapport complet (FR)
Autres études et éléments de bibliographie:
• Accès à l’eau, un droit pour tous? Paroles de naufragés, mars 2018, FdSS & SocialEnergie
• De l’eau pour tous! Etat des lieux de la précarité hydrique en Belgique - 2019, Fondation Roi Baudouin
• Baromètre de la précarité énergétique et hydrique, Analyse et interprétation des résultats 2009-2018, Fondation Roi Baudoin, avril 2020
• Durabilité et pauvreté, Contribution au débat et à l’action politiques - Rapport Bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale
• (Re)cours toujours - Comprendre et combattre le non-recours aux droits pour lutter contre la précarité énergétique et hydrique, Centre d’Appui Social Energie, mars 2020
• Water affordability : Public operators’viexs and approaches on tackling water poverty, Aqua Publica Europea
• Measuring water affordability in developed economies. The added value of a needs-based approach, J. Vanhille and al.
• Etude sur les consommations résidentielles d’eau et d’énergie en Wallonie, AquaWal et CEHD, novembre 2015
Projet mené en collaboration avec les consultants de Sia Partners.
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